•  Comment est (peut-être) née notre Compagnie!

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     La nuit commençait à tomber quand Jehan-François quitta sa maison, tout au moins celle de son père, le Charron de la rue des lions, sous les remparts des Otages. Une lanterne à la main, ils se dirigea vers la tour de guet toute proche. Au bout de quelques pas, il fut rejoint par Bernhard   son ami de toujours.

       -" Alors, t'es décidé, tu viens avec moi ? "

     L’ autre, en train d'avaler un quignon accompagné d'un bout de lard, réussi à prononcer : 

     -"C'est quoi au juste ton truc ". 

    Jehan-François secoua la tête, agacé :

     -" Tu comprends  vite, toi! Ça fait trois fois que je te dis que c'est le sieur de  Montau­ban qui me convoque. Il veut que je prenne la tête d'une compagnie d'archers qu'il est en train de lever à la demande de l'Echevin Arthur de Hesne"

     -" Mais y'en a déjà 2 de compagnies à Senlis, fit remarquer Bernhard, et c'est pas parc'que t'a été formé par le Duc de Valois à Crépy, qu'tes assez fort pour rivaliser avec les autres "

     Navré, Jehan-François secoua la tête et repris :

    -" C'est de la politique, ça. C'est une question de Rondes. Y'en a plusieurs aux environ de Senlis et l'Echevin, il a bien compris qu'en faisant parti de plusieurs, il groupait des amis  en divisant ses ennemis. Un pied dans chaque ronde, une oreille dans chaque compagnie et il devient intouchable " .

    -" Oui mais c 'est qui le payeur, une compagnie, tu parles, il en faut des écus et des sols pour l'entretenir ! 

    -" T'en fais pas, il est malin le de Hesne. C'est le Connétable Quartier qui se charge d'une partie dela troupe. Enéchange de quelques titres ou d'une bonne charge et c'est parti. De plus, sous les ordres du sieur de Montauban, ça devrait aller droit. J'ai prévenu tous les copains ".

    Tout en parlant, ils étaient arrivés devant la porte d'une poterne de la muraille d'enceinte de la ville où, tapant du pied contre le froid, attendait un groupe de 9 jeunes hommes.

    C'était le reste des amis de notre héros. Ils pénétrèrent dans la tour par une salle de plain-pied au fond de laquelle brûlait un feu dans une cheminée monumentale. Devant , une grande table de chêne, positionnée par le travers.

    A cette table, tournés vers l'entrée, se tenaient trois personnages. Au centre, levé, un homme aux tempes blanchissantes et au costume caractéristique d' Echevin, attendait messire De HESNE.

    A sa droite, assis, de longs cheveux blanchissants tombants sur les épaules et très droit pour son âge, on reconnaissait le Connétable QUARTER qui avait connu la fin de la guerre dite de cent ans, et depuis entretenait des gens d'arme sous forme de Compagnies et pour le compte des Rois de France issus depuis plusieurs génération, de la famille des VALOIS.

    De l'autre côté de la table et s'entretenant parfois avec lui, se tenait le sire du MONTAUBAN, responsable des Eaux  et F€orêts de la ville de Senlis.

    Quand les arrivants furent tous entrés, De HESNE leur fit signe de s'asseoir, et il prit la parole en ces termes:

    -"Messieurs, si je vous ai convoqué ce soir, plusieurs d'entre-vous en connaissentla cause. A la demande du Roi, et sous la responsabilité de Messire du MONTAUBAN, je dois créer une nouvelle Compagnie d'Arc qui sera à la charge et au service de notre ville de Senlis. La charge sera partagée avec le Connétable QUARTER.

    Je compte confier le commandement de cette troupe à Jehan-François LAMAINHAUT, ici présent, du fait de sa grande connaissance de l'archerie. Je vous rappelle qu'il a fait tout son apprentissage d'armes auprès des Ducs de Valois, à Crépy, et qu’après avoir été Damoiseau, Il a été fait Chevalier l'an passé. 

    Son adoubement lui vient de la main même de notre bon Roy. Je le considère donc digne et de bonne foi capable de mener à bien cette entreprise.

    D’ores et déjà , Je demande à ceux qui ne se sentent pas capables de s’ enrôler dans cette troupe, de nous quitter sans attendre”.

    Tous se regardèrent, surpris, mais aucun ne fit un geste ou un pas vers la porte.

    - “ Bien, repris l’ Echevin, Dans ces conditions je vous invite a vous asseoir.

    Ils prirent place sur les tabourets à trois pattes disposés dans la pièce, face à la cheminée.

    - “ Tout d’ abord, je vous annonce que cette Tour est désormais la vôtre. Le Bailliage de Senlis s’engage à vous la confier comme base de votre Compagnie. Il y sera dressé Salles d’ Armes et de garde. Elle sera occupée en permanence par les hommes de votre Compagnie qui auront été désignés selon les tours que vous organiserez sous la responsabilité de Messire du Montauban. N’oublions pas que si la guerre dite  “de Cent ans “ est terminée, des bandes de Voleurs et bandits de grands-chemins continuent de hanter nos campagnes environnantes et pillent sans scrupule les paysans d’alentours. Vous aurez à intervenir contre ces Grandes-Compagnies tant sur les remparts de notre ville que dans les villages environnants, selon le tracé de la ronde à laquelle vous allez appartenir”.

    Profitant de ce que l’Echevin s’ interrompait pour se servir un gobelet d’eau et reprendre son souffle, le Connétable se leva et d’une voix calme et légèrement traînante s’adressa à la petite troupe comme en continuation de ce qui venait de se dire.

    - “ En plus de cette Tour, mise à votre disposition, je vous annonce que mon pré dit “ sous les remparts” servira à dresser un jeu d’arc, où désormais, et sous les ordres du Capitaine, vous aurez à  vous entraîner. Comme me dicte ma charge, je vous ferai fournir uniformes et armes selon vos besoins. Je pourvoirai à votre solde et à votre entretien. En échange j’ exige une obéissance et une loyauté à toute épreuve. Tous ici avez grande connaissance des armes et de l’archerie. C’est pour cette raison que vous avez été distingués. Vous pouvez encore accepter ou refuser de servir sous mes couleurs et mon blason. De toute façon cette petite troupe sera complétée et fortifiée dans les jours qui viennent. Je déléguerai les pouvoirs temporels sur cette Compagnie à Messire du Montauban pour qu’il soit notre intermédiaire entre nous et les troupes Royales.

    Vous connaissez les grandes lignes de notre projet, et, avant de passer la parole à Messire du Montauban, je vous demande de vous engager individuellement en venant signer votre engagement à cette table”.

    Ils étaient tous plus ou moins indécis. Allaient-ils sauter le pas et se lancer dans cette aventure ?                                                                                                                  

     D'abord Jehan-françois, qui devenait donc Ca­pitaine, puis tous ses amis. Christian l'Isolé ancien précepteur, qui avait abandonné ses élèves pour l’a archerie. Bernhard qui habitait prés du pont et aidait à l'Hostellerie-Relais de poste qui appartenait à son père, Jehan -Paul  dont  la marotte était de fournir en pièces diverses, les artisans qui réparaient carrosses et chars de toutes ca­tégorie. Bernhard-le-sanglier qui venait de l 'Ardennes, Sylvain qui lui se plaisait à ba­digeonner et réhabiliter les bâtiments qu'on lui confiait , Marc et Nicolas et tous les autres. Même un homme, plus âgé que les autres, dont les cheveux faisaient une couronné blanche, et qui était connu de tous pour le plus ancien et que par habitude on appelait " le doyen». Il avait fait parti de plusieurs compagnie d'arc, et bien que pas très bon tireur, il avait su sympathiser avec tous et s'incorporer dans ce milieu de gens d'armes et s'y faire apprécier par une bonne humeur  assez constante.

    Enfin, après quelques instants, comme par un déclic, Jehan-françois, se leva et alla signer son engagement suivi par tous ses compagnons.

    Quand le calme et le silence furent revenus, le sire du Montauban s'exprima:

     -"De par ma charge au près du Roy, j'ai mission de régir et organiser les forêts et bois autour de notre ville.

    J'ai besoin aussi de fournir en gibier et  venaison les tables tant royales que seigneuriales. Pour ce faire il me faut  moult archers de belle adresse et grande préci­sion  afin aussi de gérer l'équilibre giboyeux des occupants de nos futaies. C'est pourquoi, en plus de vos occupations purement défensives de notre belle cité, vous aurez, sous mes ordres, à gérer le patrimoine forestier alentour. Je confirme Jehan-François dans son grade de Capitaine. De moi seule, il recevra ses ordres. A moi seul il rendra compte.

    J'ai réputation d'être exigeant et de faire exécuter mes ordres sans contesta­tion, ni murmure. Je compte sur vous. Sachez me rendre cette confiance."

    C'était fini. Une nouvelle Compagnie d'Arc venait d'être constituée. Elle devait maintenant s'équiper, s'organiser et prendre consistance.

    Nous étions le 25 juin de l'an de grâce 1510.

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    L'équipement et la tenue

    Untel, s'affairait dans son échoppe. Maître-Artisan tailleur à Vineuil, il finissait d’exécuter une importante commande qu'il avait reçue un mois plutôt du Connétable Quartier.

    Quarante uniformes d'archers, depuis les simples hommes d'armes jusqu'au Capitaine, en passant par Sous/officiers et Lieutenants, ce n'est pas tous les jours qu'une telle affaire se présentait. Il fallait faire face.

     Pour ce faire, il avait rameuté tout son personnel, depuis les tailleurs, les coupeurs, couturières, assembleuses, petites-mains, repasseuses etc...  embauchant même dans Senlis, à tâche, tout ce qui s'y connaissait en couture, passementerie, cuirs et peaux.

    Les uniformes devaient être prêts au plus tôt, et pour cela le commanditaire n'avait pas lésiné sur le montant de l'avance versée.

    Les tenues étaient toutes de "camelot gris de perle, avec parements de cuir gris clair". Les broderies, galons, boutons et boutonnières seraient d'argent, alors que plumet et cocardes blanches orneraient l'ensemble.

    Une cote de mailles très fine et légère se porterait sous le pourpoint, tandis qu'une "salade" d'acier protégerait la tête.

    Hauts-de-chausses de daim, ceinture de vermeil et harnachement de cuir marron compléteraient l'ensemble

    Un détail bien précis avait attiré la curiosité du Maître- artisan. En effet, il devait réaliser, pour chaque archer, un sac à trois poches, genre de musette portée à l'épaule grâce à une sangle en cuir, et appelée "besace". Celle-ci était destinée à emporter le nécessaire de chacun pendant des déplacements éventuels: nourriture légère, petit matériel, objets personnels, à garder sous la main.

    Il était loin d'imaginer que ce détail de l'équipement de cette Compagnie fournirait aux Senlisiens l'occasion de donner un sobriquet à leurs soldats, sous le vocable de "BESACIERS", surnom conservé au cours des siècles jusqu'à nos jours.

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     Les Armes

    Pour les armes, on s’était tourné,  bien naturellement, vers Maître Frédéric Viguier, grand facteur d’arc, installé prés de Compiègne, et dont la réputation avait passé les Pyrénées et les Apennins et qui avait était contacté même par les Anglois. Seules, les conséquences de la guerre de cent ans avait empêché une collaboration. Son atelier exhalait une odeur où se mélangeaient les effluves des différentes essences de bois qu’il employait pour la construction des arcs. Essences locale ou de bois exotiques qu’il faisait venir de contrées de plus en plus éloignées, au fur et à mesure que les grands navigateurs découvraient des terres inconnues, et en rapportaient mille produits dont les propriétés se révélaient merveilleuse.

    Maître Frédéric Viguier découpait des morceaux de ces bois, les façonnait, les ponçait et les assemblait avec des colles odorantes et chaudes. Petit à petit, l’arme prenait forme et devenait un objet merveilleux, précieux, adapté à la main et à la morphologie générale de son propriétaire. Chaque arc était différend dans sa catégorie : Arcs longs, arcs très compacts, et même court pour être pratique, dans les formations serrées, ou dans les frondaisons des bois où ils pouvaient être appelées à servir.

    Pour se faire, l’artiste, car il s’agit bien de cela, avait besoin des mensurations exactes des archers.

    Taille complète, grandeur exacte des bras, de l ’ ”allonge”. Il avait même inventé un système avec de la terre glaise pour prendre l’empreinte de la main du tireur, et ainsi pouvoir sculpter la poignée de l’arc afin qu’elle s’adapte exactement à la morphologie de son utilisateur. Les ”poupées” de fixation de la corde étaient, elles aussi, sculptées en forme de figurines, représentant une caricature  d’une personne connue. Souvent le tireur lui même!

    La taille et la fabrication des flèches étaient aussi tout un art. Il fallait sélectionner des barreaux de bois , les former, les rectifier, les traiter pour obtenir un fût impeccable. Venait ensuite la fixation des plumes d’empennage et de la pointe. des dizaines de modèles différents existaient et étaient adaptés à toutes sortes de situation.

    Maître Viguier avait donc devant lui un travail important et  il entrepris d'y affecter tous ses compagnons-oeuvriers hautement qualifiés et même tous les  apprentis qui ,chez lui et sous sa vigilance, s’initiaient à la manufacture d’arc.

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